mardi 18 mai 2010

Henry Morgentaler et l'avortement au Québec depuis les années 1960

Suite aux récentes déclarations du cardinal Marc Ouellet sur l'avortement lors d'un rassemblement pro-vie à Québec en fin de semaine dernière (lire le texte de cyberpresse ici), déclarations qui ont suscitées de vives réactions, nous avons cru bon vous présenter la petite histoire de l'évolution de la pratique de l'avortement dans la province de Québec, surtout à travers les actions du Dr. Henry Morgentaler. Nous sommes tout à fait conscient que ce texte parle seulement du processus de «décriminalisation» puis de «légalisation» de l'avortement, sans parler du mouvement pro-vie. Comme nous l'avons mentionné dès le départ du blogue, Histoire et Société ne sert pas pour autant à commenter l'actualité: c'est seulement l'angle qui nous apparaît le plus intéressant. Le but n'est pas ici de débattre d'opinions actuelles, mais de parler d'histoire en relation avec l'actualité.

http://www.nationalpost.com/opinion/253949.bin?size=404x272
Source: Dave Sidaway, Dr. Henry Morgentaler en 1975, dans David Frum, "The Day Humanity Became Cheap", National Post, 22 janvier 2008. Consultation en ligne, 17 mai 2010.

Bien que déjà "criminalisé" par le code criminel en vigueur dans le Dominion en 1869, la pratique de l'avortement est spécialement visée dans la première mouture du code criminel de 1892. L'avortement de même que plusieurs autres techniques de limitation des naissances (vasectomie, hystérectomie, contraception, etc.) sont criminalisées et passibles de peines de prison. Dans les premières décennies du XXe siècle, surtout à partir des années 1920, les premières ressources de contrôle des naissance et de planification familiale vont faire leur apparition et vont faire significativement diminué la taille des familles surtout en milieu urbain à travers le pays. Mais on ne parle pas encore d'avortement.


Source: Dr. Elisabeth Bagshaw, consultation en ligne, 18 mai 2010. La docteure Bagshaw ouvre la première clinique de planification familiale au Canada en 1932 en Saskatchewan. Ce genre de clinique est alors encore illégal.

L'un des principaux défenseurs de l'avortement légal au Canada est certainement le Dr. Henry Morgentaler. Immigrant polonais, brièvement emprisonné à Auschwitz, Morgentaler arrive au Canada en 1950. Diplômé de l'Université de Montréal (1953), il pratique la médecine "générale" jusqu'en 1968. C'est cette année que Morgentaler décide d'offrir des avortements sécuritaires en clinique privé, de façon illégale. En effet, en 1969, Ottawa avait décriminalisé l'avortement pratiqué dans un hôpital public, si la grossesse mettait la vie de la mère en danger (article 251 du Code criminel). Ce n'est donc pas le cas des avortements pratiqués par le Dr. Morgentaler.

Source: Antoine Desilets, Manifestation du comité de défense du Docteur Morgentaler (1979), Archives nationales du Québec à Montréal, fond Antoine Desilets, cote p697. Consultation en ligne, 17 mai 2010.

Morgentaler sera d'ailleurs arrêté à Montréal le 1er juin 1970 pour cette raison. Morgentaler subira trois procès dans les années 1970. Il gagne son premier procès en 1973, (Morgentaler affirme en 1973 avoir déjà pratiqué 5000 avortements illégaux) mais la cour d'appel du Québec renverse la décision et il restera 10 mois en prison. Lors d'un deuxième procès en 1975, un jury le trouve non coupable, mais il est déjà en prison. Sorti de prison, le gouvernement du Québec tente de lui faire un nouveau procès, ce que le nouveau gouvernement majoritaire du Parti québécois laissera tomber après son élection, le 15 novembre 1976. C'est aussi en 1975 que Morgentaler essaye de renverser la loi canadienne qui criminalise l'avortement, mais ses démarches n'aboutiront pas à une victoire pour lui alors que la cour suprême du Canada tranche à 6 contre 3 dans le cadre de l'arrêt Morgentaler c. La Reine (1976) en faveur du statut criminel des avortements.

ABORTION 
ISSUE. (item 1)
Source: Roy Careless, Abortion Issue, Bibliothèque et Archives du Canada, consultation en ligne, 18 mai 2010. Cette caricature montre Brian Mulroney, vraisemblablement peu de temps après la décision de 1988, accroché à un rhinocéros géant représentant le dossier de l'avortement et tenant une girouette... hésitant à aller d'un côté ou d'un autre...

En 1988, Morgentaler (avec Dr. Richard Scott et Dr. Leslie Frank Smoling) revient à la charge. Cette fois, la cour suprême tranche en sa faveur dans l'arrêt R. c. Morgentaler. Depuis cet arrêt, aucune loi ne criminalise l'avortement au Canada puisque l'article 251 qui régissait ces pratiques est entièrement aboli. Le Canada devenait alors le premier pays occidental à décriminaliser complètement l'avortement. Le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney a bien essayer d'encadrer la pratique des avortements aux seuls cas nécessaires en raison de "santé" et de criminaliser des autres cas (les médecins devenant passibles d'une peine d'emprisonnement de deux ans), mais le Sénat a bloqué le projet de loi qui avait été adopté par la Chambre des communes en 1989. Morgentaler va pratiquer des avortements jusqu'en 2006. Aujourd'hui, il supervise encore la pratique dans six cliniques privées qu'il a fondées. Au Canada, entre 2002 et 2006,  selon Statistiques Canada, il se pratiquait encore entre 91 000 et 105 000 avortements provoqués par année.

Pour plus de détails
* Le film Democracy on Trial: the Morgentaler Affair de Paul Cowan (1984) parle amplement de cette histoire et est disponible sur le site de l'Office national du film du Canada.

* Les archives de Radio-Canada et de CBC offrent aussi des dossiers complets sur le Dr. Morgentaler, sa vie et sa pratique.

* Campagne Québec-Vie est l'organisateur de l'événement dans lequel Mgr Ouellet s'exprimait. Ce groupe regroupe les informations sur toutes les campagnes "pro-vie" actuellement en cours au Québec (euthanasie, avortement, etc.)

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