lundi 21 février 2011

ESSAI: Howard Zinn (1922-2010) - réflexion maladroite sur l'historien et la sphère publique




NOTE: Voici la mise à jour de cette semaine, une réflexion sur la vulgarisation en histoire. Comprenez bien que ce texte a été rédigé il y a plus d'un an maintenant. Il fait partie d'une réflexion personnelle sur le rôle de l'historien dans la cité. Incomplète, cette réflexion est en cours d'organisation et de développement. D'autres textes suivront probablement...

http://top-people.starmedia.com/tmp/swotti/cacheAG93YXJKIHPPBM4=UGVVCGXLLVBLB3BSZQ==/imgHoward%20Zinn3.jpg


Le 27 janvier 2010 décédait un des historiens états-uniens les plus influents de la deuxième moitié du XXe siècle, Howard Zinn. Né le 24 août 1922, Zinn a servi comme pilote de bombardiers durant la Deuxième Guerre mondiale avant de revenir aux États-Unis et d'obtenir son Ph.D. de l'Université Columbia et de finalement devenir professeur de sciences politiques à Boston University (poste qu'il occupera entre 1964 et 1988). Son principal ouvrage est A People's History of the United States, paru pour la première fois en 1980.

Aujourd'hui, plusieurs éditions plus tard, ce livre s'est vendu à près de deux millions d'exemplaires aux États-Unis seulement(1). Le livre qui s'attarde principalement à l'histoire du peuple à travers ses luttes et ses épreuves, celles du quotidien comme celles d'exceptions, a jeté une onde de choc dans la communauté historienne (qui n'a pas très bien reçu le livre) et dans la population en général. L'intérêt de ce livre, surtout à l'époque à laquelle il a été écrit (la fin des années 1970, l'aube des années Reagan), est sa "nouvelle" approche de l'histoire des États-Unis: à partir des démunis et des sans-voix, il a tâché de faire une histoire du pays.

Bien entendu, son livre a des faiblesses d'un point de vue historien: les sources sont parfois tendancieuses, les conclusions sont prévisibles, le livre est très partisan, la méthode soutenue par une référence constante aux sources est parfois déficiente. L'auteur ne s'en est jamais caché pourtant. Il était conscient de faire une oeuvre militante et croyait cette démarche nécessaire simplement pour contrer l'historiographie glorifiante qui se trouvait mur à mur dans les écoles et les universités. Pour ce faire, il a donc écrit un livre à la prose efficace et directe, rempli d'exemples qui illustrent bien son point et amène le lecteur à se poser de vraies questions. Pour moi, c'est un livre, nonobstant ses positions, qui suscite assurément des discussions et des débats et peut faire connaître de réels aspects méconnus de l'histoire des États-Unis. Son style direct en est un support fantastique et ses exemples finissent par passionné le lecteur qui n'aurait eu, au départ que peu d'intérêt pour le sujet. C'est une réussite assez impressionnante.

L'histoire de Zinn nous mène donc sur un autre chemin: est-il possible ou même désirable d'accorder le rôle d'historien à celui de "pédagogue populaire", est-il possible pour un historien de faire un travail de vulgarisation sans s'attirer les foudres de plusieurs de ces collègues académiques?

Comment bien comprendre la dichotomie historien/vulgarisateur? Oeuvrant depuis près de 10 ans en médiation/interprétation/vulgarisation, je communique sur une base régulière de l'histoire, d'une façon à captiver autant que possible un auditoire pour lui faire comprendre certaines réalités du passé. Et depuis quelques années, je me pose ces questions.

Je crois que ce sont des rôles qui sont partiellement incompatibles, et qui sont malheureusement incompris. En bref, les historiens académiques (lire « savants ») et ceux qui s'affairent à communiquer l'histoire à un plus grand public (les « vulgarisateurs »), poursuivent des rôles diamétralement opposés. Les premiers cherchent à expliquer, tout en nuances, les problèmes profonds que soulèvent tel ou tel autre événements ou situation qui s'étend sur une courte ou une longue période dans le temps. Il s'adresse aussi, généralement, à un public qui a des références communes avec lui et qui peut comprendre un texte à travers un ensemble de "codes" typiques à la profession.

À son opposé, le "vulgarisateur" doit s'adresser à un public général. Pour être compris, il doit assumer que son auditoire ne possède pas les codes pour bien déchiffrer son message, ne possède pas les références pour le situer dans le temps ou même pour faire certaines nuances qui seraient autrement implicites à son sujet.

En quelque sorte, on pourrait aller jusqu'à argumenter que le « vulgarisateur » ne fait pas de l'histoire. Rompant avec la recherche d'une grande Vérité, il se contente de présenter une vérité; l'action de communiquer pour un public non-initié demande de faire des choix parfois déchirants et on peut certainement affirmer que l'historien ne fait plus de l'histoire, mais du patrimoine. Une sorte de « patrimonialisation » du passé. Pour simplifier, le patrimoine est une compréhension de notre mémoire collective, souvent associé à un événements ou des objets d'un passé plus ou moins lointain et qui est présenté de façon à être utile aux générations futures. Dans l'acte de « vulgariser », l'historien cherche à se rendre utile aux individus à qui il s'adresse, il cherche à créer un sens.

En histoire, à la base du travail de « vulgarisateur » se trouve celui d'historien. L'historien retourne dans les sources. Il les consulte, les analyse, les décortique et réussit finalement à déduire ou construire un sens, un discours, une explication à une problématique spécifique traitant d'une situation de notre passé. Il utilise des codes scientifiques, une méthode de recherche et de dissertation. Et il transmet sa Vérité à ses pairs qui sont en mesure de décoder le message de façon acceptable. Mais ce savoir, s'il reste à ce niveau, peut finir par se perdre. L'historien doit porter le chapeau du vulgarisateur. La cité demande son dû en quelque sorte. Il s'agit donc de rendre à la société le fruit de ses recherches. Mais il faut décoder automatiquement les clés comprises dans notre message original pour être compris du plus grand nombre. Cela demande donc une approche différente, un vocabulaire différent et un habillage particulier. L'historien qui décide de porter le chapeau de vulgarisateur fait un travail différent (mais tout à fait nécessaire et complémentaire) à son travail de recherche scientifique. Cela fait appel à différentes techniques. Et qui de mieux que l'historien pour présenter ses résultats. Il est le plus à même de faire les choix nécessaires et éclairés pour présenter de façon précise ses recherches. C'est cependant un monde tout à fait différents de codes à s'approprier... 


Vous trouverez un peu plus bas un lien vers le site de l'éditeur Harper Collins qui vous permet de faire des recherches à même A People's History of the United States et de le consulter en ligne. Des éditions sont autrement disponibles en ligne pour consultation et le livre se trouve encore très bien en librairie, autant en anglais (Harper Collins, 2003) qu'en édition française (Agone, 2003).





Sources
1 - Howard Powell, "Howard Zinn, Historian, Dies at 87", New York Times, 27 janvier 2010, consulté en ligne.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire